Une épidémie inquiétante touche toute l'humanité depuis des siecles

pandemie vise l'humanité

la normalité est bien portante ; elle n'a pas besoin de médecine car elle est. Et pour prouver sa bonne santé, elle crée une maladie pour chaque chose qu'elle ne comprend pas, pour chaque différence qu'elle ne peut saisir. Elle crée de facto des spécialistes pour chaque incohérence, des "docteurs", des "managers" qui prendront en charge et traiteront ces différences, des machines qui détecteront la différence et d'autres qui optimiseront la normalité. C'est sa manière de réintégrer dans la norme ce qui lui est anormal, d'être indifférente à la différence.

 

Mais la normalité est effrayée par l'explosion de malades ; elle se rend bien compte qu'elle est en réalité une minorité, qu'il y a bien plus de malades que de gens normaux et que de les prendre en charge a un coût. Il faut de plus en plus de spécialistes, d'experts et de machines sophistiquées pour contrôler la différence. Il devient cohérent d'accuser les différents de leur différence, de les marginaliser pour refus d'intégration ou d'assimilation. La normalité c'est le ciment de la société, du vivre ensemble. Reconnaitre les différences s'est s'assurer de l'effondrement de la société normale, celle qui gomme les différences pour une égalité normalisée, des vies moralisées, des directions indifférenciées...

 

Les normaux ont fait tant de sacrifices au cours de leur Histoire, à porter le masque de la normalité bien pensante toute leur vie, de génération en génération, qu'être en voie d'extinction doit être difficile à vivre. Pour maintenir la cohésion, il est impératif de repousser toute différence en dehors des limites de la normalité. Il faut porter la normalité comme on porte une croix, dans la souffrance et l'abnégation. L'irréductible différence soulève chez les normaux une colère sourde qui les fait trembler de l'intérieur, tant et si bien qu'elle pourrait justifier une guerre où quelque chose de cet ordre : les normaux contre les différents... "pour maintenir la paix"... "parce qu'on n'est pas du même monde"...

 

Pourtant, ils créent partout où ils le peuvent des écoles d'intégration, des entreprises, des administrations et des temples de normalisation. Ils créent même un ascenseur, une échelle d'évaluation de la normalisation sociale. Ils se regroupent en associations, s'organisent en quartiers résidentiels, en lobbies et en think-tanks pour normaliser l'entre-soi. Ils fondent des partis politiques pour préserver leurs pouvoirs. Ils construisent des hôpitaux pour soigner et opérer ces différences. Ils inventent des lois, des frontières, des prisons, des armes et des camps d'extermination afin d’empêcher tous ces malades, ces anormaux de s'accaparer les richesses du monde, de prendre le pouvoir, d’empêcher la différence de devenir à son tour la norme, d'exclure les gens normaux pour leurs différences...

 

On formate tout ce qu'on peut ; on normalise tout ce qu'on veut ; on génocide tout ce qu'on doit. Mais être normal à ce point là me parait suspect. Qu'est ce que ça cache, sinon une affreuse tare inavouable, une maladie honteuse, une différence anormale qui gangrène l'humanité ? Suis je un dommage collatéral de cette guerre insidieuse ou une victime de cette épidémie pernicieuse ? Après avoir dévasté la nature pour normaliser le monde en 1000 ans, la normalité entend sur ce nouveau millénaire domestiquer la richesse du genre humain : sa nature.

"Tous malades" est un texte écrit par Yvan Besnard. Tout droit de reproduction est interdit quel qu'en soit la forme sans un accord écrit de son auteur.